Prendre le temps d'interroger la matière, impliquer les textures, et les engager dans le processus de création, telle est la démarche plastique de l'artiste Thierry Tomety, auquel il tient à cœur de mettre l’œuvre au diapason de la réflexion. Le résultat est déroutant, peut-être un peu gênant. Surtout au Togo, pays dont il est ressortissant, où il réside, et où de manière générale, on identifie l'art uniquement à la quête du beau, dans un sens plutôt consensuel que dérangeant. Ou alors on attend de l'artiste qu'il adosse son art à ces artefacts prétendument identitaires caractérisant trop souvent la création visuelle africaine ; l'œuvre de Tomety s'y dérobe à bon escient. Nous conviant du coup à un univers plus personnel, intime, en quête de sa propre parole, singularité et trame de l'artiste authentique.
L'exposition Traits d'union, présente une série de peintures où la figure de la sirène est omniprésente. Est-ce pour autant un sujet sur la ''Mami wata'', comme on désigne ici la reine des eaux avec un certain dédain ? « En premier lieu, confie l'artiste, j'ai voulu représenter les liens avec les êtres invisibles auxquels nous sommes tous connectés ». Le sujet n'est donc pas prémédité, affirme-t-il. Est-ce donc un hasard qu'il ait choisi pour cette exposition solo un symbole dérangeant de la mythologie endogène dans un contexte social et religieux où cette figure autrefois positive, salvatrice même, est aujourd'hui associée au mal, à la corruption spirituelle et à la compromission matérialiste ? « À une période, je voulais aborder l'anthropomorphisme et la forme qui me venait le plus facilement, c'était les sirènes ». En disant cela, l'artiste ne se dédouane pas. Au contraire, il est conscient que sa nouvelle exposition risque de soulever des questions, peut-être des indignations, voire du mépris. Il assume. C'est aussi cela le rôle de l'artiste au sein de la société que celui de se poser entre le marteau et l'enclume et assumer sa posture. Au fond, c'est un engagement sain que d'interroger les croyances, les superstitions, les peurs et les contradictions de ses contemporains, quitte à effaroucher les plus susceptibles.
Ceci dit, osons la question qui va forcément se poser. Thierry Tomety a-t-il lui-même un lien personnel avec ces êtres occultes que sont les sirènes ? Voici sa réponse : « je pense avoir un lien avec ces êtres que j'ai représentés, quoique je n'en ai aucune preuve. Je n'ai pas voulu creuser non plus pour ne pas influencer la série car la démarche aurait perdu de sa spontanéité ». On n'en saura pas plus. Néanmoins, il précise : « la structure anthropomorphique des sirènes représente bien le pont entre deux univers, celui de l'être humain et celui de l'animal ». Thierry Tomety aborde cette exposition dans un style qui lui ressemble un peu plus qu'auparavant. Cette nouvelle orientation visuelle et invisuelle amorce une maturité artistique qui le démarque certainement de ses collègues et congénères, dans un contexte où l'imitation et le plagiat règnent à tout-va. Voilà un artiste qui prend le risque d'engager son art, autant sur la forme que le fond, sur un chemin où il est difficile de le suivre ! C'est pourtant la raison, peut-être pas la seule mais la vraie raison, pour laquelle il m'a donné l'envie de l'inviter à mon atelier pour y mener cette exposition.
Eric Wonanu
Artist and Art curator
I am deeply convinced that we are connected to nature and to the beings with whom we interact.
Through this series, I study the bond between a woman and her man, a mother and her child, people who have never met; but also, the bonds that we can have with the spiritual world.
It was also an opportunity for me to bring together surrealism and abstract expressionism through the technics and reflections that underlie them.